Cinq questions à Dorian de Meeûs – Rédacteur en chef de LA LIBRE BELGIQUE
1 – La Libre Belgique traverse, comme beaucoup de journaux, une mutation vers le numérique. Comment parvenez-vous à maintenir l’équilibre entre l’édition papier, encore essentielle pour beaucoup de lecteurs, et l’édition digitale qui attire un public plus jeune ?
La part du journal papier reste encore très importante dans le chiffre d’affaires de La Libre Belgique. Nous en sommes pleinement conscients et veillons donc à maintenir un haut niveau de qualité dans ce format, qui reste essentiel pour une grande partie de nos lecteurs. En parallèle, nous poursuivons la transformation de la rédaction afin qu’elle soit toujours plus « web first », c’est-à-dire réactive et présente sur nos supports numériques – site, application, journal digital et réseaux sociaux. Ces différents canaux impliquent des temporalités distinctes : au numérique l’actualité immédiate, au papier l’analyse, le décryptage et la mise en perspective. C’est dans cet équilibre entre réactivité et recul que réside la force de La Libre.
2 – Les librairies jouent un rôle clé dans la diffusion de la presse écrite. Quelle est aujourd’hui, selon vous, la place des libraires dans l’écosystème de La Libre et comment envisagez-vous de renforcer ce lien dans les années à venir ?
Traditionnellement, La Libre tire une part significative de ses revenus de ses abonnés fidèles, souvent lecteurs de génération en génération. Mais face aux grandes difficultés actuelles liées à la distribution postale – conséquence de la décision brutale du gouvernement De Croo de mettre fin à la concession de Bpost – les libraires jouent plus que jamais un rôle de relais indispensable. Ils constituent une véritable soupape de sécurité pour la diffusion de la presse. Certes, la hausse du prix au numéro compense en partie la baisse des volumes, mais leur rôle d’ancrage local et de proximité reste irremplaçable dans notre écosystème.
3 – La presse francophone belge fait face à des défis économiques importants (baisse des ventes papier, concurrence de l’information gratuite en ligne, concentration des groupes de presse). Quels leviers principaux voyez-vous pour assurer la pérennité et l’indépendance éditoriale de La Libre ?
La presse est un métier extraordinaire et un pilier de notre démocratie. Mais son modèle économique historique, centré sur le papier, est aujourd’hui fragilisé, tandis que le numérique peine encore à générer des revenus face à la gratuité et à la domination des géants du web. C’est précisément dans ce contexte que la fusion entre IPM et Rossel prend tout son sens : unir nos forces pour investir, innover et garantir un avenir durable à nos journaux, tout en préservant leur identité. Loin de réduire le pluralisme, ce rapprochement vise à l’assurer dans la durée. Car seule une presse économiquement solide peut rester indépendante. La Libre est rentable aujourd’hui, mais il est de notre responsabilité d’anticiper l’avenir avec un modèle économique robuste et prometteur.
4 – Cette fusion, c’est l’enjeu majeur des mois à venir ?
Sans aucun doute, l’indépendance et le pluralisme de la presse en dépendent. L’Autorité de la Concurrence – qui se penche sur le projet – pourrait accepter ou refuser la fusion, ce qui serait dramatique. Mais elle pourrait aussi l’accepter tout en imposant des balises qui rendraient le rapprochement impossible. Vous l’aurez compris, c’est un dossier pour le moins sensible. Mais un autre enjeu majeur se présente à nous : réussir le bouleversement que représente la fin de la concession postale de Bpost. Il nous faut trouver rapidement une solution logistique efficace à un prix raisonnable. Sans cela, c’est tout l’équilibre du modèle de la presse écrite qui risque de s’écrouler. Pour cela, il nous faut soit avoir la garantie de pouvoir poursuivre le modèle actuel ou mettre un système de livraison en place qui soit performant et économiquement soutenable et stable.
5- En tant que rédacteur en chef, quels sont, à vos yeux, les grands défis éditoriaux et journalistiques qui attendent La Libre Belgique dans les cinq prochaines années ?
Le défi central, pour les cinq années à venir, est de convaincre les citoyens – et en particulier les jeunes générations – de la valeur de l’information de qualité et de la nécessité de rémunérer le travail journalistique. L’habitude de « tout lire gratuitement » met en danger la pérennité d’une presse libre et indépendante. Si cette mentalité ne change pas, les moyens nécessaires pour informer de manière honnête et rigoureuse risquent de disparaître. Comme tout secteur, nous allons utiliser l’IA pour doper nos performances, gagner du temps dans nos productions, recherches et relectures. Un challenge passionnant. À cela s’ajoutent les décisions politiques parfois inconscientes qui fragilisent notre secteur. Mais journalistes et libraires partagent une mission commune : défendre une presse vivante, pluraliste et indépendante, au service des citoyens.
Interview Walter Agosti